Non, ne fais pas ça !
Je me suis dit toute la sainte journée, machine, ne fais pas ça...
Je suis allée faire les courses hier soir et je suis tombée nez à nez avec un aimable pot dodu de Nutella, vous savez, ces énormes machins ventrus qui vous font de l'oeil quand vous les regardez de façon insistante...
J'ai senti mes papilles s'affoler, vu ma main s'avancer et saisir le truc, comme en rêve, le déposer dans le chariot, ou le caddy, si vous voulez, puis je l'ai oublié, j'ai tout rangé et passé ma soirée tranquillement.
Aujourd'hui, même chose, je m'absorbe dans mes machins et occupations habituels quand soudain, vers les 16 heures, j'ai faim, alors je me tourne vers la niche à scandales, celle où se trouvent les denrées sujettes à caution et je le vois, cet énorme pot, alors je le prends, l'ouvre rageusement, saisis une baguette de pain que je découpe vaguement et ouvre en tartines. Je prends un couteau bien large, le plonge dans la pâte molle, lourde, onctueuse, c'est lent, c'est comme des sables mouvants, et je vois cette lame enrobée de la chose venir se coucher sur mon pain, s'y frotter jusqu'à laisser sur la tartine sa charge noisettée en volutes gracieuses et petits frisottis de minces coulées finales. Je réitère cet acte comme sans le vouloir jusqu'à ce qu'il ne reste plus dans le pot qu'un fond informe, strié des coups de couteau qui refuse de croire qu'il en est à la fin. Et je me retrouve là, à la fois honteuse et béate de plaisir, le pot vide devant moi et le couteau idiot à la main.
C'était il y a maintenant presque deux heures : pauvres filles que nous sommes, devant nos denrées industrielles, à nous faire du bien tout en sachant qu'on devrait... patati patala... Et puis mince, c'est une chance d'avoir le choix entre manger beaucoup, des fois, et manger, je suis sûre que beaucoup de par le monde aimeraient l'avoir, ce joli petit dilemme distingué, savamment torturé, gravement discuté.