De mes yeux vu

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Lorsque je suis avec lui, je retrouve également le bonheur de pouvoir le regarder à la dérobée. Dérober... C'est un peu le mot juste car je me fais alors l'effet de tenter de le capturer discrètement de mes yeux, moment de jubilation teintée de frayeur à l'idée qu'il puisse me prendre sur le fait.

Si je marche à ses côtés dans le marché odorant de couleurs et de langues étranges offertes par Barbès à la provinciale que je suis, je garde la tête bien droite mais mes yeux parfois quittent les autres visages et le fixent et absorbent sa façon de réagir aux gens et faits qu'il croise, ce sont alors menus sourires, légère crispation en des endroits de délicat croisement, fuite loin en avant en quête de nouvelles couleurs, brume de petit rêve éveillé dans lequel lui viennent peut-être des mots pour ses poèmes...

Dans le métro, je varie le plaisir et alors j'observe le reflet dans la vitre, son fin profil bordé des boucles noires qui se confondent avec le sombre fond du ventre de Paris, je vois l'éclat de ses yeux au rythme des néons ; parfois il tourne vivement la tête vers moi et je sais comment lui faire penser que j'étais perdue dans le noir du tunnel.

Quand c'est lui qui vient explorer mon univers de forêts et rivières, je le laisse souvent  marcher devant moi sur le chemin trop menu pour supporter deux personnes de front et c'est alors la joie de pouvoir le regarder sans retenue. Je me repais des longues enjambées dont il a le secret, coulées et silencieuses, de ses épaules larges, de sa nuque et de ses cheveux au vent, fertiles des odeurs de ma terre, de ses mains aux poings souvent fermés dans lesquels je me vois parfois en imagination, toute petite et glissée nue dans l'odeur de ses paumes graminées, transportée au rythme de ses pas.

Je dérobe aussi un peu de lui pendant son sommeil mais ceci je le garde pour moi, ses cils et ses mains et son souffle...

Publié dans Eté 2004

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