Pour Karol W.
La chair musculaire (...) ne se convertit pas en liquide ; elle devient une purée coulante d'un brun vineux. Le foie, le poumon, la rate, sont mieux attaqués, sans toutefois dépasser l'état de marmelade demi-fluide, qui se délaye très bien dans l'eau et paraît même s'y dissoudre. La matière cérébrale ne se liquéfie pas non plus, elle se résout simplement en fine purée.
(...) Muscles et viscères ont disparu, convertis en purée et consommés à mesure par la population. De partout, à l'humide a succédé le sec, au boueux le solide. (...) Tous les vers ont émigré, absolument tous. Du premier au dernier, ils ont abandonné la cabine cadavérique, douce à leur délicat épiderme ; ils ont quitté le velours pour les rudesses du sol. (...) La sortie du tabernacle mortuaire s'est faite par des trous ronds dont la peau est percée.
(...) Pour quel motif le ver abandonne-t-il la carcasse, excellent abri ? Pourquoi va-t-il se domicilier dans le sol ? Premier assainisseur des choses mortes, il travaille au plus pressé, le tarissement de l'infection ; mais il laisse copieux résidu, inattaquable par les réactifs de sa chimie dissolvante. Ces restes, à leur tour, doivent disparaître. Après le diptère accourent des anatomistes qui reprennent l'aride relique, grignotent peau, tendons, ligaments, et ratissent l'os jusqu'au blanc.
Jean-Henri Fabre, Souvenirs entomologiques, Etudes sur l'instinct et les moeurs des insectes.