Le combat

Publié le par Llunet

A présent l'atelier est prêt, si je quitte un peu le reste de la maison, ces caves voûtées me verront me débattre avec pigments, argile, papier mâché, bouts de laine, racines et liens divers...

Surtout, surtout, je vais devoir mener le combat avec les fours. Le four à verre s'était déjà laissé dompter il y a quelques années, j'avais pu y thermoformer des petites pièces pour des bijoux mais celui qui sert aux cuissons céramiques me paraît plus rétif, avec son énorme régulateur et ses résistances à ressorts.

Mais je veux, je veux travailler à tout ça, je n'enverrai plus de lettres de démotivation à des peignes-cul dynamiques de vide. Je risque d'essuyer un échec cuisant, une honte sans précédent mais tant pis, je ne veux pas avoir l'ignoble regret de ne pas avoir essayé, au moins, et puis même si je rame lamentablement, j'aurai tout de même la satisfaction de faire le "métier" que j'aime.

Alors défilent dans mon esprit l'alumine calcinée, la colémanite, le silice broyé, la cendre de bois dur, l'oxyde d'étain, le rutile en poudre, la dolomie, le corindon, l'engobe lie de vin. Je vois des émaux aligator, beige pyritique, vert fjord, lustre noir, pourpre cramoisi, cuivre blond, rouge opale, topaze fumé, vert herbe. Je remue de la solution marmorisante, de la gomme arabique, de la copaïva, du cément, du gesso, de la grisaille au trait brun rouge...




Je retrouve tous les carnets remplis des idées et envies que j'ai eues au fil des années, je convoque à nouveau les images qui me sont venues grâce à des livres, des films, des gens, grâce à des mots, des situations, des musiques, grâce à des rêves, des paysages défilant vus à travers la vitre d'une voiture filant vite, des odeurs douces ou âcres, grâce à des émotions, des colères et des fureurs... Toutes ces images resteront toujours de l'intouchable mais en leur donnant une interprétation et une forme dans ce monde-là, j'aurai juste un peu la joie d'avoir l'impression de m'en approcher plus, d'avoir le nez collé à la vitrine ou comme de les voir en loupe et non plus de les avoir seulement rêvées, ça me permettra d'attendre le jour où, derrière la mort, je les pénètrerai vraiment.

Publié dans Automne 2003

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