Affaire Présumés Innocents

Publié le par Llunet

Henry-claude Cousseau est mis en examen pour l'organisation d'une exposition artistique à Bordeaux en 2000 intitulée Présumés innocents, l'art contemporain et l'enfance. Il est accusé d'avoir ainsi diffusé un "message violent, pornographique ou contraire à la dignité, accessible à un mineur"... Je vous renvoie à ce lien avant de continuer mon topo :
 
http://www.liberation.fr/

A la lecture de ces chefs d'accusation, je trouve que ça transpire le bon vieil ordre moral chrétien fourant son nez dans ce qui (le) dépasse et que l'art doit être libre  de provoquer qui il veut. Pour moi, c'est imparable et indispensable.

Mais, car il y a un mais, lorsque je cherche à en savoir plus sur cette expo, je me rends compte que dans cette histoire s'affrontent les deux camps les plus imbéciles de la planète France/Europe et qu'en matière d'ordre moral, les chrétiens déclarés ne sont pas les seuls à sévir.

Je m'explique.

Nous avons donc à droite certaines associations de protection des enfants et leurs cohortes de mères-la-pudeur qui s'effraient à l'idée du corps, qui passent leur temps à parler nenfants et petits goûters au parc et qui fabriquent des névrosés coincés du cul et abstraits de la réalité charnelle (je ne vise pas là spécifiquement l'association La Mouette). Nous avons à gauche les curetons de l'art contemporain le plus encroûté qui soit, ne jurant que par le mot provocation -provocation qui n'en est d'ailleurs plus vraiment, depuis le temps qu'on nous serine les mêmes œuvres sur la guéguerre, la méçante consommation et le méçant commerce, le sexe tabou et autres tartes à la crème. Bref, chez ces derniers, tout est toujours pareil depuis bientôt 150 ans dans le fond et dans la forme (tas de feraille au sol pour la guerre, tas de détritus au sol pour le méçant commerce, tas d'ours en peluche se faisant sodomiser par Oui-Oui, n'importe qui peut broder pendant des années, les artistes les plus représentatifs de cette expo de Bordeaux n'ayant rien fait de plus rayon enfants).

Ce qui donc me fait mourir de rire c'est que ce tas de gens tout occupés à s'envoyer des vanes, ne se rend pas compte que, pour qui a un minimum de sens critique et à qui la complexité de pensée n'est pas étrangère, c'est du pareil au même et relève du conservatisme le plus détestable. Les deux parties équivalent à s'acharner sur ce qui leur paraît trancher avec le Bien : les chrétiens qui s'assument voudraient une société bien proprette, gentille mais martiale, les tenants d'une gauche faussement intellectuelle voudraient continuer comme du temps de Pompidou (qui pourtant n'était pas de gauche) à ne voir que nouveautés, trucs déglingués et destructurés parce que ça fait bien et cool et que ça semble sortir du cerveau d'un gentil révolutionnaire de gauche.

Eh bien ce ramassis d'indigences furieuses les unes contre les autres me donne envie de tuer un âne avec des saucisses. Chez les uns et les autres, la même peur est à l'œuvre : la peur de l'âme, de l'imagination, la peur de la vraie liberté de penser et de créer sans prêter attention à la mode, la terreur de l'ombre, du multiple, du féminin trop charnel et pas assez conceptuel et donc pas assez masculin, la peur de la terre humide contre l'air et la pensée arides. C'est le grand amour de l'Un qui unit et accole ses deux parties qui semblent s'affronter alors qu'elles ne sont que deux aspects de la même sensibilité monothéiste et patriarcale. Que cela plaise ou non, l'art officiel est aussi le reflet et le programme de la vie consciente d'un pays et franchement, le programme du mien m'inquiète profondément, je me dis que la vitalité créatrice vient plutôt du Japon ou des Etats-Unis, de la Norvège ou de la Finlande, je me dis que l'âme du monde y est plus vivace que n'importe où en France. Certes, je crains l'ultra libéralisme économique mais je ne vois pas en quoi ça m'empêche de m'insurger contre la névrose et la dépression dans l'art, au contraire, car il me semble qu'un peuple névrosé est déséquilibré entre pseudo-intellect (que l'on peut retrouver au Palais de Tokyo, par exemple) et décervelage (que l'on peut constater dans des parcs façon Euro-Disney). Le dénominateur commun de ces deux souffrances est le manque criant d'imagination et d'inventivité.

Encore une chose : je crois que l'emblème de la lutte que mènent ensemble ces deux frères ennemis pourrait être le commerce. Pour les zentils gens, c'est là le diable, la pub est son suppôt, les enfants leur christ. Que l'enfant soit protégé de ce diable bien pratique par des associations, ou mis en scène par des artistes comme Annette Messager pour mieux l'en écarter, on en arrive à la même chose : une sensation de gluance et l'impression qu'il est dénié aux gens du peuple le fait d'avoir envie librement de "consommer" (j'en vois déjà que ce mot fait bondir) du rêve, des images et du loisir. Cette peur d'une populace livrée à ses instincts imaginaux est le dénominateur commun des artistes contemporains français autant que des pater familias à l'ancienne.

Si je voulais choquer (je m'en soucie peu, en fait), en tant qu'artiste française du 21e siècle, je prendrais la peine de souligner l'indigence et le crime contre la vraie pensée. Je ne parle pas de l'imbécile pensée qui est à l'œuvre dans la plupart des créations contemporaines les plus convenues et qui consiste à faire à tout prix sortir du "sens" d'un acte "créateur" faisant ainsi ressembler la plupart des artistes les plus reconnus aujourd'hui à des gens constipés occupés à pousser volontairement pour que ça sorte, alors que le sens profond d'une œuvre n'est pas dû, la plupart du temps, à la seule poussée de son créateur. Je prendrais le risque de montrer le crime contre la psyché humaine que constitue une religion monothéisthe que j'abhorre par dessus tout. J'essaierais de représenter que ce qui nous pousse au ventre, artistes y compris, ce n'est pas la pensée avant tout mais l'ombre, les dieux et nos génies personnels, l'âme du monde et notre inconscient ainsi peuplé, et non pas seulement de mots, de sexe et de merde, n'en déplaise à Lacan et à Freud.

Pour faire plus pragmatique, je pense qu'il est également possible que tout bonnement les artistes sénescents français soient pétrifiés de peur devant la nouvelle vague de la figuration portée par tous ces jeunes illustrateurs, concepteurs pub freelance, peintres et dessinateurs qui sont pour le coup la vraie avant-garde et le vivier d'une création superbe et décomplexée. C'est facile après coup de faire du terrorisme artistique au nom de la liberté d'expression alors qu'on est déjà à classer dans le passé et qu'on se musèle soi-même en niant la créativité foisonnante et sincère qui s'exprime à travers des gens comme Fuco Ueda, James Jean, Monica René Rochester, Mark Ryden, Sam Weber, Kathryn Barton ou Andy Kehoe.

Petite note pour les lecteurs de mauvaise foi : je n'aime pas la seule figuration, j'aime aussi des gens comme Wolfgang Laib, ou Patrick Van Caeckenbergh, je peux aussi aimer l'art conceptuel, du moment que c'est sensible et que le créateur ne pense pas que, hors du sien, il n'existe que l'art des peintres du dimanche aux ridicules champs de lavande qui là, on est d'accord, font bailler à peu près tout le monde, de gauche ou de droite, de légitime ennui...

Et puis quitte à mettre les liens de mes camarades artistes, autant mettre le mien, ça ne mange pas de pain, et du pain, j'en mange grâce à ce que je vends, tout le monde n'a pas la chance de subister en montrant dans des musées huppés des tas d'ordure qui trompent les agents de propreté : Cendrine Rovini.

Publié dans Automne 2006

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D
Des enseignants aux Etats-Unis sont licenciés pour les mêmes motifs... Je veux dire, parce qu'ils ont amené des groupes d'enfants voir des expos de ce genre. La bataille juridique commence. Qui va gagner ?
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