La gauche n'existe plus ou la sorcellerie à l'œuvre
La philosophe belge Isabelle Stengers est l'une des plus grandes intellectuelles européennes et dans un pays qui cherche à croire qu'une politique de gauche est encore à l'œuvre, ça fait du bien de lire Isabelle Stengers.
Voici donc quelques citations tirées du livre qu'elle a co-écrit avec Philippe Pignarre : La Sorcellerie Capitaliste. Pratiques de désenvoûtement.
"Quel que soit l'endroit où vous tentez de remettre en cause l'exploitation ou la détresse sociale, on vous oppose les effets qu'induiraient automatiquement les mesures que vous proposez.(...) L'Europe doit accepter les OGM, ou bien elle perdra sa compétitivité au niveau mondial". C'est le type de phrase que prononcent presque tous les partis politiques français, le PS compris. Les socialistes, avec le parti qui est censé les représenter, sont comme embarqués dans un bus miraculeux qui les transporte mine de rien vers un libéralisme sauvage digne de la droite la plus classique. L'un des premiers mots de Ségolène Royal dans son programme est la Croissance. Sacro-Sainte Croissance au nom de quoi des assemblées entières d'élus vous embobinnent le sourire aux lèvres.
Je vis dans une société de possédés, au sens premier du terme.
"Ce n'est pas dans notre monde "modernisé" que l'on trouvera le nom adéquat pour nommer le mode d'emprise du capitalisme, car la modernité nous a enfermés dans des catégories bien trop pauvres, axées sur la connaissance, l'erreur et l'illusion. (...) il faut se tourner vers des savoirs que nous avons disqualifiés. Ce qui réussit à faire coincider asservissement, mise au service et assujettissement, production de ceux et celles qui, librement, font ce qu'ils ont à faire a un nom depuis longtemps. C'est quelque chose dont les peuples les plus divers, sauf nous les modernes, savent la nature redoutable et la nécessité de cultiver, pour s'en défendre, des moyens appropriés. Ce nom est sorcellerie."
Je peux vous assurer que ce mot n'est pas, dans la bouche d'Isabelle Stengers, une métaphore, c'est bien de sorcellerie dont il s'agit. Ce que nous nommons avec mépris une "croyance" est bel est bien à l'œuvre aujourd'hui même. La Raison étant notre nouvelle déesse, le Marché notre nouveau dieu, nous voilà, nous, gens de gauche, ridiculement méprisants de nous même et de ce qui nous habite. C'est justement parce que la Raison et la science nous ont fait abandonner ces savoirs archaïques que nous nous trouvons démunis face à des attaques de type sorcier. D'après Stengers, "nous avons perdu les moyens appropriés de leur répondre". Le mot "âme" est "trop suspect d'accointances avec le surnaturel, n'a pas été intégré dans le savoir scientifique". Tant que nous ignorerons ce paramètre, nous ne pourrons lutter efficacement contre un capitalisme effréné, une dégradation exponentielle de notre planète et une perte d'âme et de beauté effrayante. Le tabou ratiocinant est à toute épreuve, à l'épreuve même de l'indignation devant les aberrations du Marché et de la destruction planétaire.
"Mais les petites mains que sait fabriquer le capitalisme - depuis les gestionnaires des "ressources humaines" jusqu'au scientifique dénonçant la "montée de l'irrationalisme" que traduirait l'inquiétude publique face aux OGM ou aux nanotchnologies - ne sont pas aveuglés par une idéologie. Il vaudrait mieux dire, employant un vocable sorcier, qu'elles sont "mangées", c'est à dire affirmer que c'est leur capacité même à penser qui a été la proie de l'opération de capture."
Cet article n'engage que moi, je ne parle pas au nom des Verts, je tiens à le souligner, même si c'est le parti à qui je fais le plus confiance pour prendre conscience de ces luttes ombreuses...
Je termine sur une réflexion qu'elle avait faite à François Granon au sujet de la sorcière néo-païenne Starhawk (qui n'a rien à voir avec un ramassis new-age débilitant ou d'extrème-droite, je vous rassure), lors d'une entrevue pour Télérama : "Préfère t-on des formes sans risques, mais creuses ? Quant aux railleries, elles me paraissent la moindre des choses. Ceux qui raillent sont, en première approximation, contents du monde dans lequel ils vivent. Je ne suis pas contente du monde où je vis".
Voici donc quelques citations tirées du livre qu'elle a co-écrit avec Philippe Pignarre : La Sorcellerie Capitaliste. Pratiques de désenvoûtement.
"Quel que soit l'endroit où vous tentez de remettre en cause l'exploitation ou la détresse sociale, on vous oppose les effets qu'induiraient automatiquement les mesures que vous proposez.(...) L'Europe doit accepter les OGM, ou bien elle perdra sa compétitivité au niveau mondial". C'est le type de phrase que prononcent presque tous les partis politiques français, le PS compris. Les socialistes, avec le parti qui est censé les représenter, sont comme embarqués dans un bus miraculeux qui les transporte mine de rien vers un libéralisme sauvage digne de la droite la plus classique. L'un des premiers mots de Ségolène Royal dans son programme est la Croissance. Sacro-Sainte Croissance au nom de quoi des assemblées entières d'élus vous embobinnent le sourire aux lèvres.
Je vis dans une société de possédés, au sens premier du terme.
"Ce n'est pas dans notre monde "modernisé" que l'on trouvera le nom adéquat pour nommer le mode d'emprise du capitalisme, car la modernité nous a enfermés dans des catégories bien trop pauvres, axées sur la connaissance, l'erreur et l'illusion. (...) il faut se tourner vers des savoirs que nous avons disqualifiés. Ce qui réussit à faire coincider asservissement, mise au service et assujettissement, production de ceux et celles qui, librement, font ce qu'ils ont à faire a un nom depuis longtemps. C'est quelque chose dont les peuples les plus divers, sauf nous les modernes, savent la nature redoutable et la nécessité de cultiver, pour s'en défendre, des moyens appropriés. Ce nom est sorcellerie."
Je peux vous assurer que ce mot n'est pas, dans la bouche d'Isabelle Stengers, une métaphore, c'est bien de sorcellerie dont il s'agit. Ce que nous nommons avec mépris une "croyance" est bel est bien à l'œuvre aujourd'hui même. La Raison étant notre nouvelle déesse, le Marché notre nouveau dieu, nous voilà, nous, gens de gauche, ridiculement méprisants de nous même et de ce qui nous habite. C'est justement parce que la Raison et la science nous ont fait abandonner ces savoirs archaïques que nous nous trouvons démunis face à des attaques de type sorcier. D'après Stengers, "nous avons perdu les moyens appropriés de leur répondre". Le mot "âme" est "trop suspect d'accointances avec le surnaturel, n'a pas été intégré dans le savoir scientifique". Tant que nous ignorerons ce paramètre, nous ne pourrons lutter efficacement contre un capitalisme effréné, une dégradation exponentielle de notre planète et une perte d'âme et de beauté effrayante. Le tabou ratiocinant est à toute épreuve, à l'épreuve même de l'indignation devant les aberrations du Marché et de la destruction planétaire.
"Mais les petites mains que sait fabriquer le capitalisme - depuis les gestionnaires des "ressources humaines" jusqu'au scientifique dénonçant la "montée de l'irrationalisme" que traduirait l'inquiétude publique face aux OGM ou aux nanotchnologies - ne sont pas aveuglés par une idéologie. Il vaudrait mieux dire, employant un vocable sorcier, qu'elles sont "mangées", c'est à dire affirmer que c'est leur capacité même à penser qui a été la proie de l'opération de capture."
Cet article n'engage que moi, je ne parle pas au nom des Verts, je tiens à le souligner, même si c'est le parti à qui je fais le plus confiance pour prendre conscience de ces luttes ombreuses...
Je termine sur une réflexion qu'elle avait faite à François Granon au sujet de la sorcière néo-païenne Starhawk (qui n'a rien à voir avec un ramassis new-age débilitant ou d'extrème-droite, je vous rassure), lors d'une entrevue pour Télérama : "Préfère t-on des formes sans risques, mais creuses ? Quant aux railleries, elles me paraissent la moindre des choses. Ceux qui raillent sont, en première approximation, contents du monde dans lequel ils vivent. Je ne suis pas contente du monde où je vis".