Les mains mortes
En ce moment, mis à part lorsque je suis avec mon petit garçon ou occupée dans mon atelier, mes mains sont mortes.
Elles ne servent à rien et pendent le long de mon corps ou fondent comme du sucre dans l'eau.
Dans ces passages de mort manuelle, j'appelle de tout mon coeur un boucher compréhensif qui accepterait de les séparer de mon corps et de mon esprit d'un coup sec de hachoir. Il les emballerait pour moi dans du papier blanc et m'accompagnerait au fond du Cros d'Arène puis me laisserait seule.
Là, je m'aiderais des os de mes poignets pour creuser un trou peu profond où déposer mes bouts de viande morte. Je les regarderais longtemps jusqu'à ce qu'elles refroidissent et deviennent vertes. Je resterais pour voir naître lentement les petits vers de plus en plus grouillants et je sais que j'aurais envie d'approcher mon visage de cette charogne ainsi couplée et soudée par la grâce de ces petits animaux pour mieux en respirer la pestilence grasse et presque sucrée.
Une fois la terre nourrie de mes morceaux, je fouillerais le trou à la recherche d'un os le plus fin possible et repartirais avec lui. Je me le ferais tailler en une pointe effilée avec lequel les bonnes âmes auraient soin de me curer des dents qui de toutes façons tomberont toutes seules d'elles mêmes d'ici quelques années.