La fin de Mille-Pluies

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Elle est sans âge, petite comme ma main, blanche et dorée de peau, ses cheveux sont noirs, lourds et ondulés, ses yeux, noirs aussi, son visage étroit et roses ses joues.

Elle se nomme Mille-Pluies et lorsqu'elle est lasse de rester dans notre maison, elle nous quitte et nous l'ignorons. Nous ignorons son départ mais nous découvrons son cadeau de départ : un rêve au petit matin, un livre sur un banc,  un nuage en forme d'hippocampe ou un café meilleur que la veille. C'est elle qui fait pleuvoir les hommes lorsqu'ils font l'amour.

Dans nos maisons, la pièce qu'elle préfère c'est la chambre mais elle peut être là partout ailleurs à toute heure, invisible mais pourtant toute chair. Elle est devant les yeux des hommes quand ils pensent aux corps, elle est sur le corps des êtres qui s'accouplent et lorsque l'homme est droit de verge, c'est elle qui la tient ferme et dure.

Il lui faut de l'eau, beaucoup d'eau pure, du lait, des ruisseaux, des bouteilles pleines, des mamelles de vache et des lacs. Et si jamais la peur l'assaille, si elle pense un jour manquer de liquide, elle hésite à se montrer, à empoigner la tige mâle et à se tenir au bord des imaginations.

Mille-Pluies passe de maison en maison et il y a de moins en moins d'humidité et d'images. Elle se sent inquiète et souvent avec sa maîtresse rouge sombre elle évoque l'eau qui se tarit et se trouble, mais la déesse ne semble pas inquiète, elle lui dit qu'il n'y a pas de mal, que cette eau qui passe de corps en corps se lavera à l'absence des corps humains, dans les cupules de roches et le creux des grottes. La maîtresse lui dit qu'elle n'aura alors plus qu'à empoigner les verges dures du calcaire de la terre.

Soit, mais c'est que Mille-Pluies les aime, ses hommes chauds.

Quelques siècles ont passé. Le petit jour est là et Mille-Pluies sort de la maison la gorge sèche et les mains fatiguées d'avoir tant tiraillé le pauvre homme. Elle marche de son tout petit pas feutré, mais ce ne sera pas elle qui empoignera le sexe de la terre. (Les créatures semi-invisibles, aussi précieuses soient-elles aux humains, sont finalement de génération et de disparition facile). Non, elle traverse cette route et alors passe un camion benne qui la fauche de ses roues gigantesques, la presse et l'écrase en un giclement rouge et minuscule.

Dans la maison, l'homme nauséeux appelle sa femelle : « Chérie, viens écouter, il y a un truc grave à la radio... »

Conte du printemps 2009, Cerdagne.

Publié dans Printemps 2009

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